Histoire(s) & patrimoine de Charleroi |
Boulevard Audent (actuel boulevard de l'Yser). Editeur Nelson |
Le 22 août 1914, vers onze heures du matin, les Allemands entrent dans le centre de Charleroi par le Viaduc ; ils sont précédés de civils, otages trouvés dans la rue ou enlevés de leurs habitations, obligés de les précéder afin de former un bouclier humain. Les troupes empruntent l’avenue du Grand Central où une fusillade avec des Français éclate. Des civils tombent. Les Allemands pénètrent dans des habitations pour y prendre de nouveaux otages, piller des habitations et y bouter le feu au moyen de petites bombes incendiaires.
Empruntant les grands axes du centre, les troupes allemandes répètent à plusieurs reprises le même scénario, tout au long de la journée.
L’axe reliant le Viaduc au Collège des Jésuites est le plus touché ; Charleroi est en feu. Les carolorégiens vont s’activer toute la journée et la nuit afin de limiter la propagation aux autres quartiers. Charleroi-Nord n’est pas épargné ; l’école des Sœurs de la rue du Pinson est dévastée ; de nombreuses habitations notamment de la rue de la Cayauderie sont détruites.
Pour le seul centre de Charleroi, on dénombre plus de 150 maisons incendiées, et une cinquantaine de civils tués…
Château de Parentville - Plaque commémorative du Traité de Couillet |
Les troupes françaises en recul, le bourgmestre Emile Devreux demande la nuit du 23 août à l'avocat de la ville Albert Dulait de le rejoindre afin de tenter d’entrer en contact avec les généraux allemands pour éviter le bombardement de la ville. Des canons ont été aperçus sur les terrils en périphérie de Charleroi, prêts à embraser la cité. Dulait avait suggéré cette idée quelques heures auparavant au bourgmestre pour tenter de préserver la ville.
Emile Devreux et Albert Dulait rédigent à une lettre en ce sens à destination de l’Etat-major, dans laquelle les deux hommes mentionnent également le récent soutien de Charleroi lors d'une catastrophe minière Outre-Rhin. Ce geste fut remercié au nom de l'Empereur par son consul dans une lettre officielle, que Devreux et Dulait joigne en annexe de leur missive.
Rejoints par l’Echevin des Finances Emile Buisset, un obstacle de taille est rapidement identifié : aucun d’entre eux ne maîtrise assez la langue de Goethe pour parlementer avec les allemands. Albert Dulait pense un temps demander à la gouvernante de ses enfants, une Lorraine, de les accompagner mais Dulait ne souhaite pas l'exposer à des dangers inutiles. Un homme d'affaires, ami de Devreux, maîtrisant parfaitement l'allemand rejoint la délégation à leur demande : Louis Smeysters. Ce dernier venait de voir sa maison détruite dans l’incendie de la ville, et avait rejoint l’ambulance installée au Collège des Jésuites. Ensemble, ils prennent en voiture à 05h30 du matin la direction de la demeure du directeur des usines Solvay, le Château de Parentville, où l'Etat-major allemand a installé son camp. Le fils de Dulait conduit le véhicule, arborant un drapeau blanc confectionné par l'épouse du bourgmestre.
Plusieurs barrages ralentissent la progression, mais la lettre du consul allemand et la finalité de l’expédition permet de progresser vers Couillet. Dans le centre de Montignies-sur-Sambre, la voiture passe à proximité de nombreuses maisons incendiées et à côté du nouvel Hôtel de Ville, en partie détruit. Des rougeurs d’incendie sont toujours visibles à l’horizon. Le long des routes, des civils errent devant des habitations en ruines. A la hauteur de la gare de Couillet, le convoi rencontre d’importantes forces militaires et plusieurs officiers. Escorté par le lieutenant von Hanneken qui a pris place dans le véhicule, revolver au poing, et par un autre véhicule allemand, la délégation pénètre dans le domaine de Parentville par la route de Châtelet, incendiée, empruntant un chemin particulièrement raide. Dans la direction de Nalinnes, les canons se font entendre.
Château de Parentville |
A Parentville, le bourgmestre Devreux, Dulait, Buisset et Smeysters rencontrent le général Max von Bahrfeldt. Ce dernier met en avant des tirs effectués par des civils carolorégiens sur les troupes allemandes, ce que dément formellement Devreux : il n’y a pas de francs-tireurs à Charleroi. Des consignes ont été données à la population en ce sens, et à de nombreuses reprises. Le général pointant un endroit sur une carte où des allemands furent canardés, Devreux lui renseigne qu’il ne s’agit pas de Charleroi, mais de la localité voisine de Dampremy, située aux portes de la ville. Pour von Bahrfeldt, peu importe la localité, Charleroi en tant que centre régional est responsable.
La rencontre débouche sur le silence des canons, moyennant des conditions strictes auxquelles Charleroi doit se soumettre. Von Bahrfeldt exige le paiement de 10 millions, payable en cinq versements, ainsi que de nombreuses réquisitions en nature. Ville au territoire exigu, Charleroi ne dispose pas de quoi pourvoir aux termes du Traité de Couillet : Emile Devreux devra s’arranger avec les localités voisines s’il souhaite préserver sa ville.
Le texte du Traité de Couillet est le suivant :
« A comparu le Bourgmestre de la ville de Charleroi, M. Devreux, devant le Commandant de la 19e division de Réserve (Res. Div.) qui fait les réquisitions suivantes :
La ville de Charleroi, a à fournir pour ce soir, 23 août, 6 heures de l’après-midi :
120 tonnes d’avoine ;
40 tonnes de pain ;
20 tonnes de conserves et viandes fumées ;
800 kilogrammes de café ;
800 kilogrammes de sel ;
100 kilogrammes de sucre ;
3 tonnes de benzine ;
50 litres de glycérine.
Tous ces articles sont à fournir sur des voitures attelées et doivent être fournis pour 6 heures de l’après-midi, devant la mairie de Montigny-sur-Sambre.
Il y a à fournir :
5 automobiles ; toutes les armes et munitions qui se trouvent en possession des habitants, revolvers, poudres, etc., également sur la place de la Mairie de Montigny.
Enfin la ville a à fournir en cinq versements la somme de dix millions de francs, et le premier versement aujourd’hui 23 août à 6 heures, après-midi, sera de deux millions en espèces ou en valeur sûres ou en lettres de change. Les paiements suivants de même import avec intervalle de dix à vingt jours. La réception de la somme aura lieu dans la mairie de Charleroi jusqu’au paiement de toute la somme. Le Bourgmestre et deux respectables citoyens de la ville seront gardés comme otages.
Lu et signe :
von Bahrfeldt.
E. Devreux. »
Smeysters est retenu à Parentville, otage. La voiture de Dulait reprend la direction de Charleroi, emmenant la délégation communale et le lieutenant von Hanneken. Il ne reste que quelques heures pour rencontrer les conditions du Traité.
Monument au Traité de Couillet |
A Montignies, von Hanneken ordonne à Devreux, Buisset et Dulait de descendre de la voiture. Le véhicule est entouré de deux mitrailleuses ; des otages sont forcés de rejoindre le cortège. Le retour jusqu’à l’Hôtel de Ville de Charleroi s’effectue à pied. A proximité de la maison communale, le curé-doyen de Charleroi Louis Lalieu est capturé. Il rejoint les otages, maintenus à l’intérieur de l’Hôtel de Ville comme garants.
Les échevins Falony et Buisset ainsi que le bourgmestre Devreux s’évertuent à rassembler les réquisitions en nature dont la valeur avoisine les 200.000 francs. Au vu des réquisitions importantes demandées par rapport à la taille du bassin de Charleroi, de la situation de guerre et de la ville en partie ravagée, la totalité ne peut être trouvée et fournie à l’occupant.
Les directeurs des banques sont convoqués afin de réunir les premiers deux millions à verser le soir même. Les banques apportent immédiatement un million en espèces et souscrivent une traite de 540.000 francs. L’homme d’affaires Paul Dewandre apporte en une fois l’importante somme de 460.000 francs en titres de rente belge. Les 8.540.000 francs exigés pour paiement ultérieur consistent en des traites tirées par la Ville de Charleroi sur la Banque Nationale de Belgique, avalisées par les banques. Cette somme sera par la suite inclue dans la contribution de guerre que la Belgique doit verser à l’Allemagne.
A 18 heures, les autorités de Charleroi rencontrent l’Etat-major. Bien que toutes les réquisitions en nature n’aient pu être rassemblées, von Bahrfeldt marque sa satisfaction. Libéré, Louis Smeysters regagne Charleroi vers 21 heures.
Charleroi n’est plus menacée par les canons, jusqu’alors toujours prêts à ouvrir le feu sur la ville. La signature du Traité de Couillet met fin aux atrocités perpétrées par les militaires allemands depuis leur arrivée dans la région. Les séquelles sont cependant profondes dans la population : les troupes du Kaiser ont pillé, brûlé et tué sur leur passage.
Le bilan de ces journées d’août 1914 dans la région de Charleroi est de 250 civils tués et 1.350 maisons incendiées ; il faut y ajouter les nombreuses infrastructures et les bâtiments partiellement détruits, et les dizaines de blessés légers ou graves. Aucune commune n’est épargnée ; Monceau-sur-Sambre est particulièrement touchée avec ses 251 maisons incendiées et 66 civils tués.
Ruines de la rue de la Montagne et bd Audent. Editeur Collection Artistique |
Dès le 24 août, la vie commence à reprendre lentement son court, les habitants sortent de chez eux. Les nouvelles commencent à circuler, et l’on s’aventure en ville pour constater les dégâts. Les carolorégiens prennent connaissance des atrocités commises dans la région, et notamment du « Massacre de Tamines ». Partout, on découvre des morts, des prises d’otages, des maisons pillées et incendiées. La recherche des disparus commence ; on retrouve des cadavres, des habitants noyés dans leurs citernes en essayant de se cacher, ou carbonisés dans leur cave, pris au piège d’une maison incendiée, sans voies de sortie praticables.
Les allemands affirmeront longtemps avoir été la cible de civils armés afin de justifier ce bilan douloureux.
Un an après la Bataille de Charleroi, les allemands inaugurent sur les hauteurs de Couillet, à proximité de Parentville et visible dans toute la vallée, un monument en pierre symbolisant la prise de la région et les difficultés rencontrées pour passer la Sambre : le Krieger-Denkmal « Den Kameraden » . Le 11 novembre 1920, deux ans après l’Armistice, le monument est dynamité en présence notamment du bourgmestre Devreux, et sombre dans l’oubli pour longtemps.
En 1939, un monument au « Traité de Couillet » est inauguré à proximité du nouveau cimetière de Couillet. Une plaque commémorative apposée sur la façade du château de Parentville commémore également la signature du Traité.
Emile Devreux, bourgmestre de Charleroi (image extraite du Livre d'Or de l'Exposition de 1911) |
Emile Devreux est né à La Hestre le 17 novembre 1857.
Architecte industriel, Emile Devreux est un ami de Julien Dulait, fondateur de Electricité & Hydraulique, société qui donnera naissance aux ACEC. Ensemble, ils installent en 1905 l'électricité dans les rues et les maisons de Charleroi. Ils effectueront de nombreuses installations électriques à travers toute l’Europe.
Architecte de formation, Emile Devreux est passionné par l’histoire et l’archéologie. Mais il est également attiré par la politique : membre du Parti Libéral, militant wallon, il entre au conseil communal de Charleroi en 1895, et devient d’emblée échevin. Le 7 mars 1904, il est nommé par arrêté royal bourgmestre de Charleroi, succédant à Jules Audent, poste qu’il occupera jusqu’en 1921.
Emile Devreux s'intéresse à la promotion de la culture au cœur du bassin industriel. Avec Jules Destrée, Devreux participe activement à l'organisation de l'Exposition de Charleroi de 1911, mettant en valeur le savoir-faire et le patrimoine culturel et artistique de la région. Il s’occupe de la construction des nouveaux bâtiments de l’École professionnelle de Charleroi, future Université du Travail, où se déroule l’Exposition de 1911.
Au début de la première guerre mondiale, il négocie avec les allemands le Traité de Couillet du 23 août 1914 afin d'éviter à Charleroi d'être la cible des bombardements, et ce, en contrepartie de moyens financiers importants. Il joue durant cette période un rôle humanitaire et social important en trouvant des denrées alimentaires et en ravitaillant la population dans le besoin.
Le 17 août 1917, il perd son fils Gabriel, engagé volontaire dès les premiers jours de la guerre, tué à hauteur d’Adinkerke. Architecte également, Gabriel Devreux reçoit la chance de pouvoir travailler à la mise en œuvre de l’Exposition internationale de Charleroi. Adjoint de l’architecte en chef Jean-Laurent Hasse, il contribue à la réalisation de plusieurs bâtiments et pavillons, dont notamment la façade principale de l’Exposition, ainsi que le bâtiment néoclassique où est aujourd’hui hébergé le BPS22.
Emile Devreux poursuit son parcours politique de bourgmestre après la guerre, et ce, jusqu'au 14 janvier 1921, date à laquelle il se retire de la vie politique communale. Il continue cependant à s'intéresser à Charleroi et à son patrimoine, en publiant de nombreuses études archéologiques sur la région et en devenant président de la Société archéologique de Charleroi en 1926.
Il décède à Charleroi le 22 décembre 1933, à l'âge de 76 ans.
Le général Max Ferdinand von Bahrfeldt (carte postale, édition Stengel & Co.) |
Max Ferdinand Bahrfeldt est né le 6 février 1856 à Willmine (Gerswalde) en Allemagne.
Il intègre l'école des Cadets de Wahlstatt en 1869, puis celle de Berlin. De 1882 à 1886, il suit les cours de l'Académie de guerre de Prusse à Berlin. Gravissant la hiérarchie militaire, il devient en 1913 à l’occasion du jubilé des 25 ans de règne de l'empereur Guillaume II lieutenant-général, et est anobli von Bahrfeldt.
Après la bataille de Charleroi, il participe notamment aux batailles de Guise et de la Marne. En 1915, il participe à la stabilisation de la ligne de front lors de la bataille de Champagne. Sa carrière militaire prend fin en avril 1916, ayant atteint la limite d’âge.
Numismate reconnu, spécialisé dans les pièces de la République romaine en Basse-Saxe, von Bahrfeldt publie plusieurs articles numismatiques. Il obtient le titre de docteur honorifique ès arts de l'université de Giessen en 1911, et devient professeur honoraire de numismatique à l'Université de Halle en 1921.
Il rejoint en 1917 le Deutsche Vaterlandspartei dès sa fondation, « Parti de la Patrie allemande » actif jusqu’à la fin de la guerre. Dans la République de Weimar, von Bahrfeldt fut membre de la Deutschnationale Volkspartei (Parti populaire national allemand) et du Stahlhelm, association patriotique conservatrice. Après la dissolution du Stahlhelm pendant le Troisième Reich, Bahrfeldt fut transféré dans la réserve de la Sturmabteilung, organisation paramilitaire du Parti national-socialiste des travailleurs allemands.
Au lendemain de la guerre, von Bahrfeldt est reconnu coupable de crimes de guerre pour ses actions à Charleroi et est condamné à la peine de mort par contumace par une cour martiale à Mons en 1925. Il nie sa responsabilité et rejette la responsabilité sur les francs-tireurs, responsables selon lui des représailles allemandes.
Max von Bahrfeldt, décède le 11 avril 1936 à Halle (Allemagne), âgé de 80 ans. A l'initiative du journal Hildesheimer Allgemeinen Zeitung, une rue de Berlin fut baptisée de son nom (Bahrfeldtstraße, Oststadt).
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