Histoire(s) & patrimoine de Charleroi |
Le patronyme des Bivort est intimement lié à l’histoire industrielle de Charleroi. Les Bivort avaient de nombreux intérêts économiques dans la région, et plus particulièrement dans le quartier de Jumet-Gohyssart.
Château de la Bruhaute dans le parc Bivort (détail carte postale ancienne, Edition Pierre Hosdain) |
En 1745, Simon Bivort, propriétaire d'une papeterie habitant Namur, avait acquis avec François-Louis Puissant, maîtres de forges à Charleroi, et Pierre-Joseph Renson, maître de forges à Dinant, la concession de plusieurs veines de charbon, notamment celles situées dans le bois de Jumet, près de Gohyssart. Ils fondent alors la « Société Notre-Dame-au-Bois de Jumet », plus tard connue sous le nom d’ « Amercoeur ». L’investissement dans l’industrie houillère leur permet non seulement de placer des fonds, mais également de directement participer à la production du combustible nécessaire à leurs autres entreprises. Le charbonnage d’ « Amercoeur » sera plus tard l’un des moteurs du développement du quartier Gohyssart.
Au milieu du XIXième siècle, la famille Bivort était relativement influente dans ce quartier de Jumet. Trois frères Bivort contrôlaient véritablement la vie sociale, religieuse, culturelle et économique de Gohyssart.
La famille Bivort possédait alors la moitié des parts du charbonnage d'Amercœur ; Clément Bivort (1819-1875) en devint le directeur. A cette époque, Gohyssart ne disposait pas encore d’église et ce malgré l’importante population ouvrière qui y habitait. Le quartier abritait une communauté protestante assez importante et un Temple évangélique accueillait déjà les fidèles. Fervents catholiques, les Bivort et la Société d’Amercoeur vont participer financièrement à l'édification dès 1865 de l'Eglise de Jumet-Gohyssart, ainsi qu'à la création des écoles des Soeurs et des Frères. Les premières cloches de l'église de Gohyssart sont offertes par la famille Bivort (la plus petite cloche est toujours celle d'origine ; les autres furent enlevées par les allemands en 1943). Le premier curé de la nouvelle paroisse n’est autre que l’un des frères Bivort : Edouard (1814-1886) fut curé de Gohyssart de 1866 à 1886. Le troisième frère, Henry-Joseph Bivort (1809-1880), fut patron-verrier à la Coupe. Sa verrerie occupait des centaines d’ouvriers.
Henry-Joseph, Edouard et Clément sont les enfants de Henri-Marie Bivort de La Saudée et de Marie Cornet ; Henri-Marie Bivort exerçait la profession de « marchand de fer ».
Henry-Joseph est né à Jumet le 20 juillet 1809. Son nom reste lié à l’histoire verrière de la région, et plus particulièrement, au quartier de la Coupe à Jumet. En 1853, il épouse Marie Schmidt.
Château de la Bruhaute dans le parc Bivort (détail carte postale ancienne, Edition H.L-J.) |
Henry-Joseph s’associe à Auguste Bennert en 1845 pour fonder les « Verreries Bennert & Bivort », à la Coupe, succédant aux anciennes verreries Houtart. Dans un premier temps spécialisée dans la production de verre plat, l’usine produit également des bouteilles. Une verrerie existait déjà à cet emplacement dès le XVIIIième siècle, acquise en 1785 par la famille Houtart. Auguste Bennert est d’origine allemande ; il s’établit durant de longues années à Jumet, à proximité de ses usines. Il fut notamment également président de la chambre de commerce de Charleroi.
Le temps passant, l’établissement Bennert & Bivort va s’étendre, suivant les différents perfectionnements de l’industrie verrière. En 1877, Auguste Bennert se retire de l’affaire ; il décède quelques années plus tard, en 1884. Le décès en 1880 de Henry-Joseph place son fils Joseph Bivort à la tête de l’entreprise. En 1886, lors des émeutes ouvrières de mars, les usines sont visitées par les grévistes ; les bâtiments, fours et magasins sont en partie épargnés.
Au début du XXième siècle, la Verrerie Bennert & Bivort occupe un millier d’ouvriers, et ses différentes infrastructures couvrent près de sept hectares en plein centre de Jumet. Trois millions de mètres carrés de verre sont produits annuellement. La renommée de l’établissement dépasse largement les frontières ; la verrerie de la Coupe exporte aux quatre coins du monde.
La Verrerie Bennert & Bivort est la dernière du pays à abandonner le procédé traditionnel du soufflage à la bouche du verre à vitre. Le 30 septembre 1930, les derniers canons sont soufflés à Jumet ; la production se concentre désormais sur les bouteilles.
En 1963, les Verreries de la Coupe, comptant parmi les trois verreries les plus importantes en matière de fabrication de bouteilles, sont intégrées dans une nouvelle structure, les « Bouteilleries Belges Réunies ». L’établissement est par la suite cédé à Verlipack, et ferme définitivement ses portes en 1997. La fermeture de ces installations marque définitivement la fin du travail du verre à Jumet.
Le parc Bivort actuel |
Le maître de verrerie Henry-Joseph Bivort fait ériger vers 1870 un château patronal, à quelques centaines de mètres des verreries de la Coupe. Le site choisit pour édifier son habitation possède déjà à l’époque quelques richesses naturelles, bien que laissé à l’état de friche ; plusieurs arbres remarquables se dressent sur le terrain de sept hectares. Bivort transforme le site en un magnifique parc à l’anglaise ; il décide de conserver certains arbres remarquables, fait planter des essences rares, et augmente le nombre de plantation. Nombre de ces arbres sont aujourd’hui centenaires et répertoriés comme remarquables.
Il fait aménager deux étangs, alimentés par le ruisseau des Rosaires qui traversait alors le parc. Ces étangs sont les derniers vestiges des marais qui autrefois parsemaient le quartier de la Bruhaute. Des statues en ciment, moulages de statues antiques, sont disposées le long des chemins qui parcourent le parc.
Une drève est tracée permettant l’accès à la rue Wattelaer ; une cinquantaine de marronniers bordent l’allée jusqu’aux grilles du parc. Rue Wattelaer, la grille d’accès principale à la propriété est ornée d’un fronton renseignant les initiales du maître verrier ainsi que l’année 1870. L’ensemble de la propriété est ceinturé par un mur continu en brique.
Le parc Bivort actuel |
Le « Château de la Bruhaute » est construit dans le même style qu’un autre château patronal érigé à proximité, à Dampremy (« Château Passelecq », ancienne maison communale de Dampremy).
En 1880, à la mort de Henry-Joseph, le domaine passe aux mains de son fils Joseph (1854-1902). A son décès en 1902, sa veuve est dans l'obligation de se séparer de la propriété ; elle cède alors le château et le parc à la « Société des Charbonnages du Centre de Jumet », qui acquiert les lieux afin d’y loger ses directeurs-gérants.
En 1967, la Société de charbonnages cesse ses activités. Lors de la liquidation des biens de la société, l'Etat belge devient en 1974 propriétaire du parc et du château, et les cède à la commune de Jumet pour le franc symbolique. En 1976, le parc s'ouvre au public ; si l’un des deux étangs fut comblé, le tracé du parc reste toujours aujourd’hui identique à celui que connurent les Bivort. Le château, lui, reste cependant vide d'occupation, et se détériore rapidement. Devant faire face à des difficultés administratives, la commune de Jumet ne valorise pas directement le château. Laissé à l’abandon durant plusieurs années, le bâtiment finit par se dégrader fortement, victime de vandalisme et de pillage. En 1988, il est finalement décidé d’abattre la demeure centenaire. Certaines dépendances sont néanmoins conservées et existent toujours aujourd’hui, côté rue Joseph Bivort. Le parc, l’un des plus beaux de Charleroi, est aujourd’hui propriété de la Région wallonne.
Plaque commémorative dans l'Eglise de Gohyssart |
Né le 16 août 1814 à Jumet, Edouard-Marie-Joseph choisit de suivre le chemin ecclésiastique. Il fut chanoine honoraire de la cathédrale de Tournai, et devint le premier curé de la nouvelle paroisse de Gohyssart, entre 1866 et 1886. Les libéralités de la famille Bivort et le don d’un terrain par la Société d’Amercoeur, en partie aux mains des Bivort, participèrent pour beaucoup à l'édification dès 1865 de l'église de Jumet-Gohyssart, véritable phare catholique au cœur d’un quartier ouvrier comptant une importante population protestante. Gohyssart était jusqu’alors dépourvue d’église, et les fidèles devaient se rendre jusqu’à Chef-Lieu pour assister aux offices. La construction dans ce quartier ouvrier d’une église monumentale permettait d’exercer une certaine pression et un contrôle social sur la population. A Couillet, à la même époque, une autre église monumentale est érigée par le patronat à destination de la population ouvrière : Saint-Basile, par Basile Parent.
En 1876, Edouard Bivort fait ouvrir une école gardienne et primaire dans l'actuelle rue Destrée, dans un couvent érigé à ses frais et dont il fait don aux Soeurs de Notre-Dame.
En 1880, la cure est érigée. Jusqu'alors, le curé de Gohyssart vivait dans une habitation située à la Cour Puissant (actuelle Allée Verte), dans une habitation mise à sa disposition par les Charbonnages d'Amercoeur.
Edouard Bivort décède le 7 juillet 1886, à 74 ans ; il est inhumé à Fontaine-L’Evêque.
La présence de charbonnages à proximité, à l'origine du quartier, reste à jamais marquée dans l'édifice : le dénivelé de la première marche donnant accès au choeur est dû à un mouvement de sol, témoignant de la présence de galeries minières.
Clément Bivort est né à Jumet le 1er octobre 1819.
En 1842, il devient directeur des « Charbonnages de Monceau-Fontaine et du Martinet ».
Il devient également administrateur, et par la suite directeur, des Charbonnages d’Amercoeur. Cette société constituée en 1823 était pour la moitié propriété de la famille Bivort. Elle était située à proximité immédiate de la chapelle Notre-Dame au Bois à Jumet, le petit édifice religieux jouxtait les murs de la société. Minée par les eaux, la chapelle fut reconstruite en 1843 grâce notamment à l’intervention financière de Clément Bivort.
Le Charbonnage d Amercoeur au début du XXième siècle. Détail carte postale ancienne, éditeur inconnu |
En 1864, Clément Bivort acquiert le château de Fontaine-l'Évêque et son parc de huit hectares. Il confie la restauration du site en 1869 à l’architecte carolorégien Auguste Cador.
Fervent catholique, Clément Bivort soutient et développe des œuvres religieuses dans la région, opposant « une propagande conservatrice et religieuse à la diffusion de l'Internationale et aux ravages du socialisme » (in « Le Bien Public »; 18-04-1870). Il souhaite moraliser grâce à la religion les populations ouvrières. Dans la région de Charleroi, il participe à la multiplication d'Associations de Saint-François-Xavier, qui contribuent « à la moralisation » et bien-être matériel des ouvriers et de leurs familles. A Gohyssart, il soutient également financièrement la création de l'école des Frères.
Entre 1871 et 1875, il est président de la « Fédération des Œuvres Ouvrières », organisation souhaitant rapprocher les œuvres populaires catholiques locales, organisant un mouvement ouvrier catholique capable de barrer la route au mouvement ouvrier socialiste. En 1875, il forme un comité pour l'édition d'un journal catholique à Charleroi avec Clément Tahon, bourgmestre de Jumet et président du Cercle catholique de Charleroi.
Eglise de Gohyssart |
Clément Bivort fut également échevin de Monceau-sur-Sambre, vice-président de l’« Association charbonnière des bassins de Charleroi et de la Basse-Sambre », membre du conseil provincial du Hainaut, vice-président de la Ligue nationale belge,...
Clément Bivort décède dans son château de Fontaine-l'Évêque le 18 septembre 1875.
Durant de longues années, les Bivort ont dominé tout un quartier et influencé la vie de ses habitants. Plusieurs milliers d’ouvriers dépendaient directement des industries liées aux Bivort de La Saudée. Le charbonnage d’Amercoeur et les Verreries de la Coupe ont aujourd’hui disparus, mais l’Eglise de Jumet-Gohyssart continue de dominer le quartier ; érigée sur l’un des points les plus élevés de Jumet, elle est visible à des kilomètres à la ronde.
Anecdote. L’un des membres de la (grande) famille Bivort aimait s’essayer à sélectionner de nouvelles variétés de fruits. Plusieurs variétés de poires ont ainsi été créées au XIXième et portent le nom de la famille et de certains de ses membres : la « Rousselet Bivort », petite poire jaune d'or ; la « Clément Bivort », fruit moyen, arrondi, jaune-orange marbré de fauve, à chair fondante, juteuse, sucrée et d'un parfum agréable ; la « Henri Bivort », fruit assez gros, vert clair unicolore ponctué de brun, à chair mi-fondante ; la « Alexandre Bivort », fruit jaune-paille blanchâtre à chair blanche, très fine, bien fondante, d'un parfum particulier,…
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