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Thomas Bonehill & La Providence


Thomas Bonehill est né le 15 mars 1796 à Bilston, petite ville industrielle située près de Birmingham. Le Royaume-Uni est en pleine mutation ; la révolution industrielle qui s’y déroule transforme les méthodes de production. La machine à vapeur mise au point par James Watt en 1769 entraine l’apparition de nouvelles machines dans le secteur du textile et de la sidérurgie notamment. Commencée à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, la révolution industrielle s'étend progressivement au continent européen dès le début du XIXième.

Thomas Bonehill d'après une lithographie de Schubert

Ingénieur-mécanicien de formation, Thomas Bonehill arrive dans la région de Charleroi en 1824 à la demande de quelques industriels belges désirant moderniser leurs installations. Il apporte avec lui un certain savoir-faire en matière d’avancées technologiques qui font la puissance de l’Angleterre. Il prend une part active au renouvellement des outils de production locaux, plus que vieillissants. Bonehill participe à la construction ou à la modernisation de nombreux laminoirs et autres usines à fer, dont notamment l’usine de Hubert Lejeune à Hourpes ; le laminoir de l'usine de Zône, à Mont-sur-Marchienne ; le laminoir de la Société anonyme des hauts fourneaux et laminoir de Montigny-sur-Sambre (Champeaux-Chapel) ; un autre laminoir à Acoz, au sein d’un établissement appartenant aux De Dorlodot,… Mais c’est sans aucun doute l’entreprise qu’il fonde avec Marie-Philippine Adélaïde Licot, veuve de Ferdinand Puissant d’Agimont, qui marie à jamais son nom à celui de l’histoire de Charleroi. Ensemble, Thomas Bonehill et Marie-Philippine Licot vont créer une société qui ne tardera pas à devenir l’une des plus importantes et des plus renommées de tout le bassin de Charleroi, mais également de Belgique, et qui n’hésitera pas à se développer à l’étranger : « Les Forges de la Providence ».

Les Forges de la Providence (in Belgique industrielle: vues des établissements industriels de la Belgique. - Bruxelles: J. Géruzet, 1850-1855)

Marie-Philippine Licot était la fille du maître de forges Jacques Licot. Elle épouse le 16 septembre 1812 Ferdinand Puissant, descendant d’une famille active dans le même secteur d’activités. Les Puissant formaient une famille connue et réputée depuis plusieurs générations déjà dans le Pays de Charleroi, dans le domaine de l’industrie métallurgique. Le couple s’établit à la Ville-Basse à Charleroi ; Ferdinand s’applique à poursuivre les activités des usines qui appartenaient à son père Jean André Joseph Puissant, et que sa mère Marie-Catherine d’Heusy, héritière, lui confie pour s’en occuper. Ces forges constituent alors l’un des plus grands, si pas le principal, complexe industriel de tout l'Entre-Sambre-et-Meuse. Les Puissant possèdent des implantations à Ham-sur-Heure, Morialmé, Gougnies, Aiseau, Biesme-la-Colonoise,… Ferdinand Puissant ne tarde pas à vouloir perfectionner l’entreprise familiale, composée de plusieurs établissements dispersés dans toute la région. Mais comme les autres entreprises sidérurgiques du pays, les usines des Puissant se trouvent dans une situation assez difficile dans les années 1820 ; elles connaissent une concurrence sévère venue d’Angleterre, qui recourt depuis 1820 au laminoir et au four à puddler, mais également au haut fourneau à coke, beaucoup plus économique et présentant un meilleur rendement que le fourneau au bois. Afin d’optimaliser ses outils, Ferdinand Puissant vend les implantations les plus éloignées de Biesme-la-Colonoise, qu’il désigne comme point central de son complexe industriel. En contrepartie, il prend en location d’autres ateliers, plus proches. Les forges de Ham-sur-Heure, d'Aiseau,... sont vendues au profit d’une location d’un haut fourneau à Morialmé, de l’achat d’une forge à Biesme-la-Colonoise,… En 1830, Ferdinand Puissant dispose ainsi sept établissements industriels situés à Morialmé et à Gougnies, sur les rivières de la Thyria et de la Biesme ; ces établissements se concentrent en deux zones, séparées de huit kilomètres.

Les usines de la Providence, début du XXième siècle. Détail carte postale ancienne, ed. Duvivier Frères

Devant la concurrence anglaise, Ferdinand Puissant prend la résolution de se rendre en Angleterre afin d’observer et d’étudier les procédés qui y sont utilisés. Il apprend cependant la présence de Thomas Bonehill dans la région de Charleroi, et n’hésite pas à avoir recours à son expertise : il le charge d'étudier la modernisation de ses usines.

Bonehill constate rapidement les points faibles des installations des Puissant. A moyen ou long terme, les usines des Puissant sont condamnées si elles ne se transforment pas en profondeur. Ces usines trouvent leur matière première sur place, ce qui les empêche de se développer, et limite leurs exportations à un marché régional. Pour Bonehill, les établissements industriels doivent se situer près d'une voie d'eau importante. Le bois en tant que combustible commence à être remplacé par le charbon, et il n’est dès lors plus nécessaire de se situer dans une région forestière, mais il est préférable de se rapprocher de gisements de houille. Le bassin de Charleroi, où demeure Ferdinand Puissant, dispose de ses atouts. Une voie d’eau nouvelle est en travaux également depuis 1828 : le canal de Charleroi à Bruxelles sera bientôt ouvert à la circulation des « baquets » ou encore « sabots ». Le chemin de fer n’en est qu’à ses premiers balbutiements, mais si la technologie se développe positivement, l’usine devra être à proximité d’une ligne pour s’y raccorder. Ferdinand Puissant montre un vif intérêt aux projets qu’expose Thomas Bonehill et s’apprête à envisager le transfert de ses usines dans le bassin de Charleroi. La mort du principal intéressé vient mettre brutalement un terme au projet : Ferdinand Puissant décède le 27 mars 1833, à l’âge de 49 ans.

Détail des Forges de la Providence sur un plan de 1911 édité à l'occasion de l'Exposition de Charleroi de 1911

Si Ferdinand Puissant ne verra jamais la concentration de ses usines se concrétiser, sa veuve n’hésite pas à reprendre le projet et à le réaliser, en association avec Thomas Bonehill. Ensemble, ils acquièrent le 7 décembre 1834 une prairie de 2 hectares à Marchienne-au-Pont, traversée par la chaussée reliant Charleroi à Binche. Le lendemain, ils acquièrent un autre terrain de 12 ares environ, contigu au premier. Le 2 mars 1835 est constituée la société « Veuve F. Puissant d'Agimont et Thomas Bonehill » ; le siège social est fixé à Marchienne-au-Pont. Un dernier terrain de 12 ares est acquis le 1er août 1835 à Mont-sur-Marchienne, au lit dit « Les Marlères ». Sur ces terres localisées à l’ouest de Charleroi, et jouxtant la Sambre et le canal, ils font construire un grand laminoir, une fonderie, un tour, des fours à puddler, des fours à chauffer, et deux cisailles. La main d’œuvre pour bâtir cet ensemble provient d’Angleterre et d’Allemagne principalement. La présence de ces ouvriers dans la région coïncide avec le début de l’implantation et de l’expansion du protestantisme dans la région de Charleroi.

Si elle réalise et participe activement aux plans de son époux, Marie-Philippine Puissant-Licot ne lui survit cependant que de peu : elle décède le 4 mars 1837. Les descendants Puissant prennent la relève ; Edmond et Jules Puissant constituent le 21 février 1838 avec Thomas Bonehill la « Société anonyme des laminoir, forge, fonderie et usines de la Providence », et y font apport du fonds de commerce de la société « Veuve F. Puissant d'Agimont et Thomas Bonehill ». L’entreprise nouvellement créée prend le nom d’un lieu-dit de Marchienne, « La Providence », où furent bâties les usines.

En 1843, dans son « Traité théorique et pratique de la fabrication du fer », Benoît Valérius décrit la Providence de la sorte : « Dans ce laminoir il y a deux machines motrices, l’une de 60 chevaux et l’autre de 40 chevaux. Ces deux machines font mouvoir un train à tôles, un train marchand avec fenderie, un petit train, trois cisailles, un marteau frontal cingleur, un train à ébaucher, un tour à cylindres, un martinet frontal. Il y a dans l’usine 11 fours à puddler, 4 fours à réchauffer, 1 four à Brames, 1 four à tôle ordinaire, 1 four dormant particulier pour le service du maka et 1 four à décaper pour la fabrication du fer blanc. Ce laminoir, construit par M. Bonehill, en 1835, est remarquable par la grande variété de fers qu’il permet de fabriquer. Sous ce rapport il n’y a pas beaucoup de rivaux dans le district de Charleroi. Il n’y a pas jusqu’aux énormes bandages des roues de wagons qu’on n’y fabrique. Ce laminoir est aussi un modèle sous le rapport de la solidité des constructions, et tout, jusqu’à la propreté qui y règne, montre qu’il est dirigé avec vigilance, assiduité et intelligence ».

Détail du monument funéraire de Thomas Bonehill au cimetière de Marchienne-au-Pont

Thomas Bonehill s’éteint à Marchienne-au-Pont le 3 août 1858. Technicien expérimenté, son nom est aujourd’hui plus effacé que celui de John Cockerill dans la mémoire collective ; le développement industriel et l’épanouissement de la sidérurgie dans le bassin de Charleroi sont cependant intimement liés à ses activités de modernisation des outils de production dans la région. Thomas Bonehill est inhumé dans l’ancien cimetière de Marchienne-au-Pont. Son monument funéraire est par la suite déplacé dans l’actuel cimetière de Marchienne, où il se dresse toujours. Thomas Bonehill eut de nombreux enfants ; parmi eux, Edouard Bonehill devient maître de forges à Aiseau, et Emile Bonehill, dirigeant d’une fonderie de fer à Marchienne-au-Pont.

L’ancien château familial se dresse toujours aujourd’hui aux confins de Mont-sur-Marchienne et de Marchienne-au-Pont, à proximité de la rue Bonehill qui perpétue le souvenir de l’ingénieur. A Hourpes, subsiste toujours une autre demeure liée à la famille. Réplique d'un château situé en Allemagne, elle fut bâtie entre 1887 et 1888 pour la fille d’Emile Bonehill-Servais. Les Bonehill y exploitaient des usines, et y firent bâtir le coron, toujours présent. Les usines de Hourpes firent faillite en 1926, et le matériel démantelé et transféré en Irlande dix ans plus tard.

Le site où se dressaient des infrastructures des Forges de la Providence

Quant à « La Providence », la société se développe et devient un complexe sidérurgique de plus en plus étoffé ; des participations dans les charbonnages et les mines de fer sont également prises. Reconnue internationalement, elle ouvre des usines en France et en Ukraine. En 1893, une aciérie est mise en service, la première du bassin de Charleroi. L’usine est presque totalement démantelée par les allemands en 1917, et ne sera rebâtie sur ses ruines qu’en 1922. En 1966, la Société Générale de Belgique, majoritaire dans les deux entreprises, décide la fusion de « Cockerill-Ougrée » et des « Forges de la Providence ». La Providence devient en 1979 « Thy-Marcinelle-et-Providence ». En 1980, l’aciérie cesse ses coulées ; la fermeture définitive du laminoir des Forges intervient trois ans plus tard. Les « Grands bureaux » qui se situaient le long de la Sambre sont démolis pour faire place aux infrastructures aériennes du métro léger, dont la station qui s’implante sur le site prend le nom de « Providence ». Les bâtiments industriels vidés de toute activité, le Musée de l'Industrie s’y installe pour un temps, avant de prendre la direction du Bois du Cazier. En 2005, l’asbl « Rockerill » achète les derniers bâtiments toujours debouts des anciennes Forges, et redonne depuis vie au site en y exploitant une salle de concerts et d’expositions.


POUR Y ACCEDER

Anciennes Forges de la Providence / Le Rockerill
Rue de la Providence 136
6030 Charleroi (Marchienne-au-Pont)

Métro Providence

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