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22 août 1914, Charleroi est en feu


Le 2 août 1914, l’Allemagne lance un ultimatum à la Belgique lui demandant de laisser passer son armée sur le territoire belge afin de pouvoir atteindre la France. La Belgique repousse dès le lendemain cet ultimatum. Le même jour, l’Allemagne déclare la guerre à la France.

Le 4 août, les Allemands franchissent la frontière belge et envahissent le pays, violant la neutralité du royaume. L’armée du Kaiser est confrontée à une résistance belge plus forte que prévue, ralentissant son avancée vers Paris et permettant aux Français de s’organiser. Le gouvernement belge autorise l’armée française à pénétrer sur son territoire, le 4 août dans la nuit.

Boulevard Audent (actuel boulevard de l'Yser). Editeur Nelson

16 août 1914 – Premiers soldats Français à Charleroi

Les premiers soldats Français sont aperçus à Charleroi, près du Pont de Philippeville le 16 août. Les troupes Françaises ne stationnent à Charleroi, mais plusieurs soldats y restent néanmoins pour y barricader les ponts. Quelques soldats Allemands prisonniers sont rapatriés à Charleroi et dirigés vers la prison. Toute une logistique se prépare pour intervenir les jours suivants. Une ambulance est organisée ; l’orphelinat, l’école des estropiés, l’athénée, le collège, les écoles des garçons et des filles du Centre sont aménagés pour l’accueil et le soin de blessés. Les élèves de l’école d’infirmières sont en alerte pour intervenir, coordonnées notamment par le directeur de l’école, le Docteur Achille Dourlet. Le même jour, Charles de Gaulle, blessé à Dinant, transite par Charleroi pour être rapatrié en France ; il y salue sa soeur, installée rue d'Assaut.

18 août 1914 – Charleroi se vide de sa population

A l’annonce de la prochaine arrivée des Allemands dans la région de Charleroi, la ville se vide de sa population. Les services du télégraphe sont toujours assurés, mais il n’est déjà plus possible de contacter certaines parties du pays ; quelques rares journaux arrivent encore de Bruxelles ; l’information circule difficilement. Les hôtels encore récemment remplis de personnes fuyant les combats et zones menacées se vident, et bientôt, seules quelques chambres sont encore occupées. De nombreux carolorégiens quittent leur domicile et décident de se réfugier en France. La Gare du Sud est le principal lieu de rassemblement de la région. Les trains qui roulent encore, malgré les interruptions dues aux combats proches, sont pris d’assaut, et plusieurs centaines de passagers restent sur les quais. Charleroi devient une ville morte, figée dans l’attente d'un affrontement qui s'annonce.

22 août 1914 – Charleroi est en feu

Dès le 20 août, des soldats Français gagnent le centre de Charleroi ; l’infanterie prend position des ponts. Des barricades sont installées sur certaines artères stratégiques. Des mitrailleuses sont placées sur le toit de la Gare du Sud, ainsi que dans le square qui lui fait face. Les ponts sont tournés ; seule une passerelle permet encore de franchir la Sambre.

Ruines de la rue de la Montagne et bd Audent. Editeur Collection Artistique

Les premiers Allemands sont aperçus dans la région le 21 août. Le même jour, quelques-uns s’aventurent dans le centre-ville, en éclaireurs. S’exprimant dans un anglais correct et laissant penser qu’ils sont alliés, ces cavaliers arrivent jusque dans le cœur de la Ville-Basse. Près du carrefour formé par les rues de Montignies et du Pont-Neuf, les éclaireurs sont démasqués. Une fusillade éclate ; les soldats Allemands sont arrêtés et conduits à la prison de Charleroi. La ville connait sa première scène d’affrontement et ses premières victimes.

Le 22 août à une heure du matin, un dernier train de passagers s’apprête à quitter la Gare du Sud, en direction de Mons. Au même moment, un obus allemand tombe dans les halls de la gare, à l’arrière du fourgon à bagages du train en partance. Le convoi est stoppé net. La dépouille du chef de train est retrouvée dans les décombres ; les obus continuent de s’abattre sur la gare.

Le 22, tôt le matin, des soldats Allemands descendent la chaussée de Bruxelles depuis Jumet en direction de Charleroi. Arrivés à Lodelinsart, des mitrailleuses françaises font feu sur les troupes ennemies ; les Français se replient immédiatement un peu plus au sud. Furieux, pensant avoir été attaqués par des francs-tireurs, les Allemands se réorganisent et reprennent leur marche. Prétextant vouloir débusquer de possibles franc-tireurs, ils pénètrent dans les bâtiments bordant la chaussée et obligent des civils pris au hasard à marcher devant eux, formant un bouclier humain. Ne se contentant pas de rafler des innocents, les Allemands boutent le feu aux maisons et commerces de la chaussée de Bruxelles, continuant leur descente sur Charleroi. Confrontés à des francs-tireurs durant la guerre de 1870, les allemands emploient tous les moyens disponibles pour empêcher les initiatives de ces partisans. Les estimations font part de l'exécution de 6.400 civils, et de la destruction de 15.000 à 20.000 bâtiments dans les premiers jours de la guerre de 14-18, en Belgique principalement, et en France1. Les allemands recourent également aux boucliers humains afin de ne pas ralentir le rythme de leur progression.

Vers onze heures, les Allemands entrent dans le centre de Charleroi par le Viaduc. Les troupes empruntent l’avenue du Grand Central où une fusillade avec des Français éclate. Des civils formant le bouclier humain tombent. Les Allemands pénètrent à nouveau dans des habitations pour y prendre de nouveaux otages, piller des habitations et y bouter le feu au moyen de petites bombes incendiaires. Empruntant les grands axes du centre, ils répètent à plusieurs reprises le même scénario, tout au long de la journée. L’axe reliant le Viaduc au Collège des Jésuites est le plus touché.

Route de Mons. Editeur Nelson

Le « Café du Globe » situé au coin de la rue du Grand Central et de l’Avenue des Alliés est l’un des premiers mis à sac. Au lendemain de la guerre, sa tenancière Blanche Piérard déclare : « Le samedi 22 août 1914, lorsque les Allemands sont arrivés, je me trouvais dans le café avec mon mari et mes deux filles. Les volets du café étaient descendus. Mon mari a fermé la porte et nous sommes descendus à la cave. Etant dans la cave devant, on a tiré un coup de feu dans le soupirail ; nous sommes alors allés dans la cave de derrière. Mon mari qui circulait dans la cave, se demandant le cas échéant par où ou pourrait se sauver est monté à l'étage pour prendre ses valeurs qu'il a gardées sur lui. A un moment donné, il a dit qu'il fallait se sauver parce que la maison brûlait. Remontés à l'étage, nous avons constaté que les Allemands avaient brisé les volets mécaniques et les vitres. La partie inférieure de la porte subsistait seule. Mon mari étant à l'intérieur du café a été atteint d'une balle en plein cœur. Moi-même j'ai reçu une balle dans le bras gauche. Nous nous sommes agenouillés moi et mes filles auprès du corps de mon mari étendu sur le parquet. L'une de nous a enlevé les valeurs. Nous sommes sorties de l'immeuble par la petite porte donnant avenue des Viaducs. Le cadavre de mon mari est resté dans le feu ».

Le médecin Victor Blondiaux venait de quitter l’hôpital et rentrait à son domicile du Boulevard Audent. Arrivant en bas de la rue de France, à la hauteur du théâtre de l’Eden, il doit se réfugier à l’intérieur : « un soldat allemand est venu enfoncer les carreaux de la maison en face de la loge où je m'étais réfugié, pendant qu'un autre brisait les vitres de la loge du Théâtre. A l'aide de paille enflammée et d'amadou, il mit le feu aux rideaux de la loge. J'ai éteint le commencement d'incendie. Me précipitant alors sur le devant du Théâtre, je vis ma maison boulevard Audent qui flambait ainsi que la maison voisine. ».

L’axe reliant le Viaduc au Collège des Jésuites forme un incendie presque continu. La Chapelle Notre-Dame au Rempart est la proie des flammes ; aidé par son sacristain et par un paroissien, le Doyen Lalieu arrive à arracher du brasier la statue de la Vierge. Le bâtiment des Sœurs de la Charité est en ruines ; elles trouvent refuge chez les Sœurs de Saint-André, près du parc. Les « Grands Magasins Raphaël » et le « Palais de l’Industrie » sont dévastés. Le feu est bouté au kiosque installé au cœur de l’actuel Parc Reine Astrid. La lueur de l’incendie est visible à des kilomètres à la ronde. Le centre de Charleroi n’est plus qu’un amoncellement de ruines, de maisons incendiées, écroulées. Les carolorégiens vont s’activer toute la journée et la nuit afin de limiter la propagation aux autres quartiers. Charleroi-Nord n’est pas épargné ; l’école des Sœurs de la rue du Pinson est dévastée ; de nombreuses habitations notamment de la rue de la Cayauderie sont détruites.

Ruines sur le coin Audent/Orléans. Editeur Nelson

Devant l’avancée allemande, les soldats Français se sont repliés et sont déjà loin. Le dimanche 23 août très tôt le matin, les autorités communales de Charleroi tentent de mettre fin aux hostilités. A l’Hôtel de Ville, le bourgmestre Devreux fait hisser le drapeau blanc.

Conseillé par l’avocat de la ville Dulait, Emile Devreux adresse un courrier à l’Etat-Major allemand. Ensemble et accompagnés par l’Echevin des Finances Emile Buisset et par Louis Smeysters, négociant maîtrisant parfaitement l’allemand, la délégation prend la direction de Montignies-sur-Sambre ; il n’est pas encore 6h00 du matin. La rencontre s’effectue sur les hauteurs de Couillet. Refusant toute discussion dans un premier temps, les Allemands finissent par accepter un cesser de feu, sous certaines conditions que les autorités carolorégiennes ne peuvent discuter. Les conditions allemandes, si elles sont rencontrées, vont préserver Charleroi de sa destruction, mais ces exigences sont considérables… Pour le soir même à 18h00, les autorités carolorégiennes doivent fournir cinq automobiles, 120 tonnes d'avoine, 40 tonnes de pain, 20 tonnes de conserves et viandes fumées, 800 kilos de café, 800 kilos de sel, 100 kilos de sucre, trois tonnes de benzine et 50 litres de glycérine. Les habitants doivent remettre toutes les armes et munitions qui se trouvent en leur possession. Charleroi doit enfin fournir, en cinq versements, la somme de 10 millions de francs. Le premier versement est de deux millions en espèces, ou en valeurs sûres ou lettres de change, et doit être effectué le jour même, avant 18h00.

La signature du « Traité de Couillet » par les Allemands et les autorités carolorégiennes met un terme aux hostilités ; les séquelles dans la population sont cependant profondes. Les exigences imposées par l’Allemagne vont peser sur les habitants, désormais sous tutelle administrative allemande.

Dès le 24 août, un semblant de vie reprend. Les nouvelles commencent à circuler et les habitants contemplent avec désarrois le centre-ville dévasté. Les atrocités commises dans les communes périphériques se font connaître. Partout dans la région, on découvre massacres, prises d’otages, maisons pillées et incendiées. La population apprend avec effroi le martyr de Tamines. La recherche des disparus commence ; des corps sont retrouvés dans les décombres, calcinés, dans des caves, dans des citernes où certains pensaient pouvoir trouver refuge. Pour le centre de Charleroi uniquement, on dénombre plus de 150 maisons incendiées, et une cinquantaine de civils tués… Vainqueurs, les allemands vont établir dans le centre différents organismes tels qu’un hôpital militaire, des bureaux de la Criminal-Polizei,… Ne se sentant cependant pas encore totalement maîtres de la région, ils exigent dans un premier temps que des otages se succèdent deux par deux à l’Ecole des Estropiés de Charleroi, par période de 24 heures.

Un an plus tard, les Allemands inaugurent sur les hauteurs de Couillet un monument consacrant leur victoire et commémorant le passage de la Sambre, le Krieger-Denkmal « Den Kameraden ».

Notes :

  1. WEBER, Thomas. La Première Guerre d'Hitler. Paris : Perrin, 2014, p. 65



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